Tu te souviens, Marie, du petit matin sale où il a fallut partir si vite parce qu’ils voulaient tuer l’enfant ?
Tu te souviens qu’on ne savait que prendre et que faire du chat, et que l’enfant pleurait ?
Tu te souviens de la couleur du pays quand on se retourne un instant pour regarder le bonheur qu’on laisse pour toujours ?
Tu te souviens de la faim, de la soif, des yeux que la peur agrandit quand on craint d’être poursuivi ?
Tu te souviens, Marie ?
Oh oui, on ne l’oublie jamais la première nuit au désert,
la forêt qui bruisse à l’approche de la frontière,
les rouleaux, les barbelés...
Tu te souviens des enfants morts sur les bateaux en détresse et de ce qu’on fait aux femmes et des maris noyés ?
Tu les connais, toutes ces mères des camps d’Afrique, des camps d’Asie, des bidonvilles d’Amérique, des prisons et des goulags ?
Tu sais l’odeur des aéroports, Marie, et le goût qui emplit la bouche quand les policiers avancent et ferment la porte du ciel ?
Tout le monde n’a pas un âne pour partir, et le solide Joseph...
Marie, petite fuyarde, tu es toujours avec les déportés, les expulsés,
les déplacés, les indésirables,
et tu le poses parmi les baluchons
le petit que traque la violence : Dieu.